Face à la menace d’une interdiction de la publicité pour des produits polluants ou de mauvaise qualité nutritionnelle, les associations professionnelles du secteur de la communication se mobilisent. Dans de pleines pages de publicité dans la presse, elles vantent les bienfaits de la réclame, malgré l’impact délétère du marketing alimentaire sur la santé.
Alors que la Convention citoyenne pour le climat (CCC) propose d’interdire ou d’encadrer drastiquement la publicité pour les produits les plus polluants et les aliments de mauvaise qualité nutritionnelle, rejoignant une demande de longue date de l’UFC-Que Choisir, le secteur de la communication monte au créneau. Appuyées par des syndicats des médias et des syndicats des salariés de la communication et du spectacle, trois associations professionnelles (Union des marques, Association pour les actions de la filière communication, Association des agences-conseil en communication) ont acheté de pleines pages dans plusieurs journaux et magazines pour développer leur argumentaire. Ainsi, dans Marianne du 9 octobre (voir ci-dessous) se déroule la rhétorique habituelle : impact d’une régulation sur l’emploi, liberté d’entreprendre, mais aussi participation de la publicité à la transition écologique et libre-arbitre du consommateur.
→ Interdiction de la publicité • Ô rage, ô désespoir…
Cette proposition de la CCC n’est que l’ultime tentative de lutte contre le marketing alimentaire, plus particulièrement celui ciblant les enfants et adolescents, jusqu’à présent contrée par les secteurs concernés – publicité et agroalimentaire. La première « réunion de concertation » autour d’un futur projet de loi, qui s’est déroulée le 18 septembre dernier sous l’égide du ministère de la Transition écologique, a vu les patrons des médias, de l’agroalimentaire et des transports faire front commun contre tout encadrement de la publicité. Jusqu’à présent, cette « union sacrée » a plutôt bien fonctionné. En février 2019, deux propositions d’articles de loi avaient été repoussées : l’interdiction de la publicité d’aliments de mauvaise qualité nutritionnelle – par le député LFI Loïc Prud’homme – et l’affichage systématique du Nutri-Score sur les publicités – déposé par Olivier Véran, ministre de la Santé, alors député LREM. L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) et les chaînes de télévision publiques comme privées avaient fait pression directement sur le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. La seule loi qui a pu passer (loi du 20 décembre 2016) abolit la publicité alimentaire uniquement pendant les programmes jeunesse des chaînes de télé publiques depuis janvier 2018. Mais elle était contournée avant même son entrée en vigueur, avec le report des spots vers le prime time, qui attire davantage de jeunes téléspectateurs.
Pourtant, les études scientifiques confirment le lien délétère entre exposition à la publicité, consommation de produits de mauvaise qualité nutritionnelle et obésité infantile. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même s’en alarme au fil de ses rapports, de même que la Cour des comptes (rapport de novembre 2019) et divers organismes de santé publique en France. Avec la publicité segmentée, autorisée depuis août dernier, ce ciblage pourrait encore s’affiner.
CONFUSION ENTRE PUBLICITÉ ET INFORMATION
Dans leur communiqué, les représentants du secteur de la communication entretiennent sciemment la confusion entre publicité et information – une technique classique, utilisée jusque dans la réglementation européenne (1). Affirmant que « la publicité peut être un vecteur de diffusion très efficace » d’informations, ils prétendent pouvoir apporter leur pierre à la transition écologique et encourager à un comportement plus vertueux. C’est oublier un peu vite que « la publicité est une pratique commerciale qui a un objectif, celui de valoriser des produits et des services pour en améliorer la vente, explique Marine Friant-Perrot, maître de conférences en droit privé à l’université de Nantes. Pour cela, elle joue sur la séduction, l’émotionnel, la subjectivité, pour amener à des achats impulsifs… » On est loin d’une information objective… Et d’une certaine cohérence de leur part, puisqu’ils se plaignent « au nom de l’environnement, qu’il n’y ait pas de publicité possible pour des produits qui détruisent la planète », s’amuse Marine Friant-Perrot.
Les promoteurs de la publicité tentent également la flatterie. « Avant d’interdire, a-t-on songé à faire confiance à l’intelligence et au libre-arbitre des gens, citoyens et consommateurs » qui « font leurs choix en conscience », interrogent-ils, occultant le fait qu’au contraire, la publicité joue sur l’inconscient et que les jeunes sont particulièrement malléables face aux publicités, leur cerveau encore immature ne leur permettant pas de distancier les messages. Il suffit de recenser à quels produits alimentaires les enfants sont exposés, comme vient de le faire l’UFC-Que Choisir, pour relativiser l’objectif annoncé par les trois associations professionnelles de « favoriser la transition écologique et une meilleure alimentation »…
La tribune publiée par les professionnels de la publicité (Marianne du 9 octobre 2020)
(1) Dans le règlement européen n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, dit règlement INCO, la publicité est pudiquement appelée « information volontaire »… On ne peut qu’admirer l’habileté du lobbying qui a pu obtenir cette rédaction !