Amazonie en feu : peut-on éviter le soja brésilien ?
L’Amazonie se consume, et ce serait la faute au soja. Les fazendeiros, ces grands propriétaires terriens brésiliens, sont accusés d’entretenir, voire de provoquer les incendies de forêt pour cultiver du soja sur les terres ainsi défrichées. Une culture qui se retrouve ensuite en France dans nos aliments et les auges de nos animaux. Un consommateur qui se refuse à participer à cette chaîne, a-t-il la possibilité d’éviter tout aliment fabriqué directement ou indirectement avec du soja issu du Brésil ?
Rares sont ceux qui ont échappé cet été aux images de l’Amazonie en feu. Ces incendies ne sont malheureusement pas nouveaux, pas plus que la conversion de cette forêt en terres agricoles. Depuis des décennies, le « poumon vert » de la planète est grignoté par d’immenses fazendas pratiquant la culture intensive du soja ou l’élevage bovin. Et depuis des décennies, la France et les autres pays européens sont dépendants du Brésil pour fournir de l’huile à leur industrie agroalimentaire, et leur ration quotidienne de protéines de soja à leurs poulets, porcs ou vaches laitières…
Mais les qualificatifs peu glorieux de « cause de destruction de la forêt amazonienne », « perte de biodiversité » et « réchauffement climatique » s’ajoutent désormais aux autres reproches faits à cette culture : du soja OGM, cultivé à grands renforts d’épandages de glyphosate et autres pesticides. Car au Brésil comme chez nos autres fournisseurs (États-Unis, Argentine), le soja est OGM à plus de 90 %, voire 95 %. Exception notable, l’Inde, qui s’est positionnée sur le créneau non OGM et bio.
L’élevage dépendant
Cette petite graine jaune est en majorité destinée à l’alimentation animale, avant tout les volailles, mais aussi les porcs et les vaches laitières. Et il est difficile de s’en passer tant elle est intéressante : elle est riche en acides aminés dits « essentiels » que l’organisme – les animaux en l’occurrence – ne peut synthétiser, et qui doivent donc être apportés via la nourriture. De plus, ces protéines sont facilement digestibles, et se vendent à un prix concurrentiel. Consciente de la défiance des consommateurs, la filière d’élevage tente de réduire ses importations. Mais la production hexagonale reste largement insuffisante, avec seulement 400 000 tonnes de tourteaux (1), soit 10 % des besoins. Conséquence, plus de 3,5 millions de tonnes (Mt) sont encore importées chaque année : 3 Mt de tourteaux dont plus de 60 % provenant du Brésil, ainsi que 0,7 à 0,8 Mt de graines dont la moitié sont brésiliennes (2).
Comment savoir si la viande, les œufs ou les produits laitiers proviennent d’animaux nourris avec du soja brésilien, états-unien ou français, ou si ce soja est issu d’une filière durable ou non ? L’origine « soja brésilien » ne faisant pas l’objet d’un étiquetage, il faut passer par plusieurs suppositions.
Les produits conventionnels
Viande, œuf ou produits laitiers conventionnels, sans aucun label : il est très probable, voire certain, que les animaux ont consommé du soja importé (OGM) au cours de leur existence. Compte tenu de l’importance de l’origine brésilienne, il est difficile d’y échapper.
Les produits sans OGM
Produits issus d’animaux nourris sans OGM : le soja utilisé provient rarement de France, du fait de la faiblesse de sa production. Il est donc là aussi en partie importé, d’Inde, d’Europe, mais également du Brésil, qui avait mis en place de longue date une filière non OGM dans l’État du Paraná. Un étiquetage non OGM ne suffit donc pas à garantir que le soja ne provient pas du Brésil.
Les produits bio
Le cahier des charges interdit les OGM, mais pas l’importation. Néanmoins, les filières bio attachant de l’importance à l’autonomie alimentaire des élevages et au commerce équitable, le risque est moindre d’y trouver du soja importé, et encore moins une cause directe de déforestation.
Les signes de qualité (Labels rouges et AOP)
Les exigences diffèrent selon les cahiers des charges, il faut donc les consulter.
Un seul Label rouge, l’Emmental, interdit clairement l’alimentation des animaux avec des aliments OGM (cahier des charges en cours de validation), mais la quasi-totalité des labels sont favorables à une évolution vers le « sans OGM » et travaillent sur le sujet. La situation serait alors similaire à celle du bio.
Pour les appellations d’origine protégée (AOP), « plus de 60 % des cahiers des charges des fromages AOP et plus de 80 % des cahiers des charges viande prévoient des dispositions interdisant la distribution de tout aliment OGM », précise l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao). Pour les indications géographiques protégées (IGP), « compte tenu du fait que de nombreux cahiers des charges sont anciens, aucune disposition spécifique n’est prévue », mais là aussi une réflexion est engagée. En revanche, comme pour le bio, rien n’est exigé sur l’origine géographique ou le « zéro déforestation ».
Tournez-vous vers le bio
Du côté de l’alimentation humaine, est-ce plus vertueux ? Le soja est consommé sous diverses formes : l’huile et la lécithine (largement présentes dans les aliments transformés), le tofu et autres préparations végétariennes, le jus de soja… S’il est désormais non OGM à 100 %, l’origine géographique n’est pas portée à la connaissance des consommateurs. Du fait de la faible autosuffisance (seulement 20 % des 150 000 ha de soja hexagonaux sont destinés à l’alimentation humaine), ces produits sont susceptibles de contenir du soja brésilien.
Terres Univia, l’interprofession des cultures oléoprotéagineuses, précise néanmoins que « les usines agroalimentaires bio hexagonales ont un approvisionnement en soja à 100 % français, ou presque ». Pour des raisons de traçabilité, les fabricants français (et européens) de produits à base de soja préfèrent utiliser une origine locale. Acheter un produit bio fabriqué en France offre donc une garantie d’avoir du soja français. Attention toutefois à votre exposition aux isoflavones, des phytohormones contenues dans cette plante.
Nombre de produits cosmétiques, comme les crèmes hydratantes, shampooings, crèmes solaires ou encore huiles essentielles, utilisent également de l’huile de soja. La réglementation n’impose pas aux fabricants d’indiquer sa provenance, et la certification bio n’apporte pas d’information sur son origine.
Étant donné la demande occidentale croissante pour des filières alimentaires durables, la culture de soja non OGM est amenée à s’accroître en Europe. Et pour des raisons de traçabilité, l’origine France devrait monter en puissance – à condition que les pouvoirs publics soutiennent cette filière (lire l’encadré). Chez nos voisins, le projet « Soja Danube », en Autriche, Roumanie et Serbie, est amené à prendre de l’ampleur. Relocaliser la production est une bonne chose pour Christophe Noisette, de l’association Inf’OGM : « Qu’il soit OGM ou non OGM, le soja cultivé hors d’Europe – au Brésil, en Argentine ou en Inde – pose problème » en pesant sur les ressources agricoles de ces pays et en contribuant à la déforestation et à la destruction des savanes, y compris indirectement. La déforestation brésilienne aurait au moins un intérêt : réconcilier les cultivateurs et les anti-OGM !
Une consommation divisée par deux en France
Depuis quelques années, les fabricants d’aliments et les filières travaillent sur deux axes pour faire évoluer cette situation :
- Réduire la dépendance au soja importé, en développant sur le sol français la culture de soja et d’autres sources de protéines, comme le colza, le tournesol, la luzerne, le trèfle ou le pois, voire les algues, mais aussi en améliorant leur assimilation par les animaux ou en faisant évoluer les élevages vers des systèmes moins productifs et plus durables. Les efforts portent, puisqu’« en 15 ans, la consommation de soja a été divisée par deux », précise François Cholat, président du Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale. Soulignons tout de même que la première source de protéines pour l’élevage bovin reste… la pâture !
- Assurer un approvisionnement en soja « durable » avec l’élaboration d’une charte intitulée Duralim (3) : son objectif est d’atteindre 100 % d’approvisionnement durable avec zéro déforestation d’ici à 2025 (contre 43 % aujourd’hui). Néanmoins, s’il est vertueux de s’inscrire dans ce type de démarche, il est illusoire – voire hypocrite – de penser que le soja durable exporté du Brésil vers la France est sans impact sur la déforestation. Il l’est par ricochet, car la demande française participe à la demande globale, donc à l’accroissement des surfaces mises en culture au détriment de la forêt.
Mais il y a encore du travail. Terres Univia estime qu’il faudrait plus que doubler les surfaces de cultures dans l’Hexagone. Or, le gouvernement français, malgré des annonces ambitieuses dans la lutte contre la déforestation dans son plan climat, ne fixe ni objectifs ni moyens suffisants. Et la production hexagonale de cultures protéagineuses, délicate et aux rendements aléatoires, n’est pas soutenue convenablement par la politique agricole commune (Pac). La filière oléoprotéagineuse place de grands espoirs dans le futur plan protéines, dont l’ambition est d’améliorer l’autonomie protéique de la France, qui sera dévoilé à l’automne par le gouvernement.
(1) Produit obtenu après pressage des graines de soja pour en extraire l’huile (20 % de la graine), elle-même destinée à l’alimentation humaine. En France, la culture de plantes génétiquement modifiées étant interdite, ce soja est « non OGM ».
(2) Ces proportions varient selon les années en fonction des cours, des stocks, mais aussi des guerres commerciales entre les pays producteurs.
(3) http://www.duralim.org/
Elsa Casalegno