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Procès du Médiator : les laboratoires Servier à la barre

Procès du Médiator : les laboratoires Servier à la barre

Procès du Médiator : les laboratoires Servier à la barre

Jean-Philippe Seta, numéro 2 des laboratoires Servier, s’est défendu de l’accusation de tromperie qui pèse sur lui dans le procès Mediator (benfluorex). Tout juste reconnaît-il une réaction tardive de la firme face aux cas de valvulopathie.

Après avoir scruté la part de l’Agence du médicament (Afssaps à l’époque, ANSM aujourd’hui) dans le désastre Mediator, le tribunal correctionnel de Paris commence à se pencher sur celle des laboratoires Servier. Jeudi, les juges et les parties civiles ont longuement interrogé le numéro 2 du groupe, Jean-Philippe Seta, médecin, poursuivi pour tromperie, ainsi que pour blessures et homicides involontaires. Tout en soulignant qu’il y avait chez Servier six « numéros 2 », l’homme reconnaît avoir « exercé des responsabilités très importantes », qu’il lui « revient d’assumer devant les victimes ». À partir de 1996, jusqu’à son licenciement brutal en 2013, il a été le directeur opérationnel du groupe.

Ses déclarations sont difficiles à suivre. Alerte, Jean-Philippe Seta parle vite, use et abuse de formules latines et de dictons en anglais, digresse sur les différences pharmacologiques entre amphétaminiques et fenfluraminiques. Ses phrases à rallonge restent en l’air. Il raconte que sa spécialité, la pneumologie, l’amène à prendre connaissance dès la parution des études en 1995 et 1997 des effets délétères du Pondéral (fenfluramine) et de l’Isoméride (dexfenfluramine), deux coupe-faim de Servier. Ils seront rapidement suspendus. Il assure en revanche n’avoir pas eu vent des travaux réalisés en 1993 par un chercheur qui travaille pour la firme, et qu’il connaît bien pour avoir collaboré avec lui sur des antiasthmatiques. Les résultats de l’étude Gordon sont pourtant essentiels : ils montrent la dégradation dans l’organisme du benfluorex en norfenfluramine, le métabolite dangereux que le Mediator a en commun avec Isoméride et Pondéral. Ignorer ces données revient, dès le milieu des années 90, à laisser sciemment sur le marché un médicament dont la toxicité est établie.

Interrogé sur l’émergence des cas de valvulopathies au début des années 2000, le prévenu concède que les laboratoires n’y ont pas accordé assez d’importance. « Nous n’avons pas pris le taureau par les cornes. Nous aurions dû sortir du cadre, être un peu anarchistes, faire une étude épidémiologique. » À la place, Servier lance, très tardivement, en 2007, une étude contrôlée baptisée Regulate. Comble du non-sens, ses investigateurs, en exigeant d’une partie des patients volontaires de se traiter avec du Mediator, les exposent à ses effets indésirables graves !

Volonté de dissimuler la nature du médicament

La présidente du tribunal en vient à l’élément le plus gênant pour la défense de Jean-Philippe Seta : une note signée de sa main, en 1999, titrée « Métabolisme du Mediator ». Diffusée en interne auprès des personnels chargés de démarcher les médecins, elle souligne « l’activité pharmacologique radicalement différente » du Mediator par rapport aux fenfluramines, car les molécules « empruntent des voies métaboliques bien distinctes ». Le document sonne comme une preuve de la volonté tenace des laboratoires Servier de dissimuler la nature réelle de leur produit aux prescripteurs. Jean-Philippe Seta nie : « Notre objectif à ce moment-là est d’éviter la déviation d’usage. Il s’agit d’empêcher d’utiliser Mediator dans la perte de poids. » L’argument paraît faible, quand on sait que la même année, en juin 1999, suite au déclenchement d’une enquête officielle, le laboratoire transmet à l’Agence du médicament (Afssaps) des données de pharmacocinétique mettant en évidence une concentration de norfenfluramine circulante identique avec Pondéral, Isoméride ou Mediator. Cela n’empêchera pas Servier de faire comme si de rien n’était, et de proposer aux autorités, même en 2009, à la veille de l’interdiction du produit, son maintien sur le marché.

Jacques Servier : « Le Mediator, c’est trois morts »

Son décès en 2014 a éteint l’action judiciaire contre Jacques Servier, patron des laboratoires du même nom, dans l’affaire du Mediator. Ses déclarations à la police avant son décès ont été lues par le tribunal. Plus marquante, une vidéo tournée en janvier 2011 à l’occasion de vœux en interne a aussi été projetée à l’audience. En voici des extraits.

Pour Jacques Servier, l’affaire Mediator est un « incident bruyant » à propos d’un « médicament mineur », qui « n’a jamais donné que des satisfactions » et « rendait bien service ». Jacques Servier affirme aussi que le Mediator a été retiré du marché par le laboratoire lui-même, suite à l’étude Regulate qui a montré « quelques cas de valvulopathies ». Outre que c’est l’Agence du médicament qui a pris la décision, l’étude Regulate demandait le maintien du Mediator sur le marché.

« Il y a une charmante dame à Brest (Irène Frachon, ndlr) qui avance le chiffre de 500 morts. C’est un très beau chiffre marketing… » Et de le rectifier : « Il y a peut-être trois morts avec le produit, encore s’agit-il de personnes en très mauvais état de santé, elles seraient mortes, quel que soit le médicament. »

En bref, face à une « campagne de presse menée par Le Figaro, un journal bourgeois habituellement bien tranquille », les laboratoires Servier « n’ont rien à se reprocher ». C’est « une affaire entièrement artificielle, il faut bien le dire à l’extérieur ». « Heureusement, les cardiologues, ainsi que les pharmaciens, sont avec nous. » Seule crainte de Servier : « une brouille avec l’Agence, nous ferons tout pour l’éviter ».

Anne-Sophie Stamane