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« Au nom de la terre » : des pistes pour améliorer le sort des paysans

"Au nom de la terre" : des pistes pour améliorer le sort des paysans

« Au nom de la terre » : des pistes pour améliorer le sort des paysans

Si on se soucie à juste raison du bien-être animal, le « bien-être paysan », lui, est souvent mis à mal par les orientations du modèle agricole dominant. C’est ce que montre le film Au nom de la terre qui vient de sortir. Par nos choix de consommation, nous pouvons contribuer à une réorientation de ce modèle.

"Au nom de la terre" Des pistes pour améliorer le sort des paysans

Avec son gigantisme, ses fermes-usines et sa déconnexion d’avec la nature, l’agriculture américaine fait aujourd’hui figure d’exemple à ne pas suivre. Il y a quarante ans, de nombreux agriculteurs la regardaient au contraire avec admiration, enviant sa productivité et sa modernité. C’est le cas du personnage central du film Au nom de la terre, réalisé par Édouard Bergeon et sorti le 25 septembre. « Pierre », incarné par l’acteur Guillaume Canet,  a vraiment existé puisque son histoire est celle du père du réalisateur. Le film revêt donc un aspect documentaire et met en lumière de façon réaliste les difficultés du métier d’agriculteur et les impasses dans lesquelles beaucoup se sont enferrés à partir des années 1980.

Pierre, donc, revient d’un séjour aux États-Unis, dans le Wyoming, où il a travaillé pour une exploitation engraissant 10 000 bêtes. Nous sommes au milieu des années 70. Plein d’espoir, il reprend la ferme de son père et élève des chevreaux en intégration. Un système très répandu encore aujourd’hui (70 % de la production de volailles, 40 % des élevages de porcs), où un industriel fournit à l’agriculteur les animaux tout juste nés et leur nourriture puis les récupère une fois engraissés à un prix très peu rémunérateur qu’il fixe à son gré. Vingt ans plus tard, dans l’espoir de dégager enfin un revenu décent, l’agriculteur décide d’agrandir son exploitation pour élever 20 000 poulets, en plus de ses 2 000 chevreaux. C’est dans l’air du temps, coopératives et chambres d’agriculture promeuvent de concert ce modèle productiviste, ce qui incite les banques à accorder des prêts déraisonnables. Dès lors, la spirale du surendettement conjuguée à d’autres aléas précipite le chef d’exploitation dans la dépression. Il finit par se suicider, comme le fait un chef d’exploitation chaque jour, selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole (12,6 % de surmortalité par suicide par rapport à la moyenne nationale). On sort de ce film un peu sonné en se demandant si, via nos choix en tant que consommateurs, nous pouvons éviter de promouvoir ce type de modèle.

Les produits sous label aussi concernés

S’assurer que le producteur soit correctement rémunéré n’est pas simple et si quelques initiatives en ce sens existent, à l’instar de C’est qui le patron, elles sont pour l’instant limitées. Quant au système en intégration, qui rend les paysans dépendants et corvéables à merci, il n’est pas cantonné aux produits bas de gamme comme les poulets élevés en 35 jours que l’on voit entassés sous un hangar dans le film. Les produits sous label peuvent aussi venir d’exploitations en intégration, s’y cantonner n’est donc pas une garantie de « bien-être paysan ».

Pierre se suicide en avalant des pesticides. Faut-il y voir un geste symbolique contre l’agriculture intensive dépendante aux intrants chimiques ? S’orienter vers les produits bio contribuerait-il à améliorer le sort des agriculteurs ? Pas automatiquement, selon Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. « L’agriculture biologique est intéressante bien sûr, il est évident qu’il faut aller dans cette direction, produire de manière plus durable. Mais ce qui nous fait peur, c’est l’idée qu’il va falloir répondre immédiatement à une demande exponentielle. Il y a un risque réel d’industrialisation de l’agriculture bio, il ne faudrait pas commettre la même erreur qu’avec le conventionnel dans les années 80. Si c’est pour continuer à produire plus pour moins cher, ce n’est pas une solution. » Et de pointer des « attentes des consommateurs contradictoires ». De fait, nous sommes de plus en plus exigeants sur la qualité de nos aliments sans forcément accepter d’y mettre le prix. La part de l’alimentation dans le budget des ménages a baissé de 35 % en 1960 à 20 % aujourd’hui et la sensibilité au prix pour les produits alimentaires n’a jamais été aussi élevée, ce qui n’est pas le cas dans le domaine des loisirs, de l’habillement, ou encore des équipements électroniques.

Privilégier les produits bruts et les circuits courts

« Nos adhérents se retrouvent aussi très bien dans ce que montre le film de la perte de sens que certains paysans ressentent, poursuit Nicolas Girod. Produire des choses dont on ne sait pas où elles vont aller et qui elles vont nourrir participe à leur désarroi. Mais ils ne savent pas comment sortir de ce schéma. Des régions entières se sont organisées pour fournir des matières premières pas chères et en grande quantité pour l’exportation et l’approvisionnement de l’agroalimentaire. Il faut complètement changer de politique agricole pour permettre de relocaliser, moins transformer, consommer sur place. » S’ils veulent encourager cette évolution, les consommateurs devraient opter pour davantage de produits bruts et cuisiner eux-mêmes mais aussi, bien sûr, s’orienter vers les circuits courts. Nos différentes enquêtes le montrent, c’est un modèle en général satisfaisant pour tout le monde. Et si les habitants de certaines régions sont plus gâtés que d’autres en offres locales, des initiatives fleurissent partout, qui permettent de renouer le lien entre les consommateurs et ceux qui les nourrissent.

Même pour les achats hors circuits courts, cette relocalisation, au moins à l’échelle du pays, correspond à une demande sociétale. Pour prendre l’exemple du poulet, puisque c’est celui dont il est question dans le film, 90 % des achats en grande distribution concernent des produits français. Mais lorsque la volaille est introduite dans des produits transformés type plats cuisinés ou servie en restauration collective (cantine, restaurants, snacking), la tendance est inverse. Le consommateur n’étant alors pas informé (1), la tentation est grande d’utiliser du poulet élevé on ne sait où et dans quelles conditions, pour rogner sur les coûts. Un étiquetage de l’origine de toutes les viandes, voire de toutes les matières premières principales, quelle que soit l’occasion de consommation permettrait un choix plus éclairé et pourrait sans doute contribuer à la relocalisation.

(1) Il existe une obligation d’étiquetage de l’origine pour les viandes introduites dans les produits transformés mais elle souffre de plusieurs exceptions et ne concerne pas la restauration et le snacking.

Fabienne Maleysson

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