Médecins : la Cour des comptes épingle l’Ordre
Après un an de contrôle, la Cour des comptes a livré un audit sur l’Ordre des médecins. Peu de compliments dans ce document, mais nombre de critiques sur la gestion de l’organisme. Certaines de ces insuffisances affectent directement les patients : insuffisances dans la formation continue, refus de soins ou manque d’indépendance, par exemple.
La Cour des comptes n’est pas connue pour son laxisme à l’égard des institutions sous le feu de ses enquêtes. Mais son dernier rapport (1), consacré à l’Ordre des médecins, étonne tant le champ de la critique est étendu. L’organisme est « peu propice au changement, peu impliqué dans l’accès aux soins, a tenu des comptes « insincères » »… Ce n’est qu’un échantillon des nombreuses failles relevées par les magistrats de la rue Cambon. Plusieurs d’entre elles peuvent avoir des retombées directes sur les patients. Ainsi, l’Ordre ne vérifie pas que ses membres suivent une formation continue, pourtant obligatoire et importante pour maintenir la qualité des soins.
PEU ENGAGÉ SUR L’INDÉPENDANCE DES MÉDECINS
L’indépendance des médecins vis-à-vis des fabricants de médicaments et de dispositifs médicaux est tout aussi essentielle à la qualité des soins. Elle garantit la liberté de prescription, favorise le respect des bonnes pratiques et de la déontologie, sans l’influence des acteurs de l’industrie. L’Ordre, chargé de prévenir les conflits d’intérêts, doit notamment contrôler chaque contrat signé entre un médecin et l’industrie. Cela vaut pour un repas, une nuit d’hôtel ou une intervention rémunérée en congrès, par exemple.
La mission n’est pas vraiment remplie. Ce sont souvent des consultants qui vérifient la conformité des documents, ce qui rend l’examen en question coûteux et « hétérogène » selon le département. La Cour des comptes souligne un autre défaut récurrent : les différents contrats d’un même praticien ne sont pas analysés dans leur ensemble. Difficile, alors, de déceler des excès… « Déjà en 2011, la Cour regrettait l’inaction de l’Ordre face à des situations d’hyperactivité de certains médecins, notamment hospitaliers », déplore le rapport.
Mais il y a plus inquiétant. Il arrive, rarement, que l’Ordre émette un avis défavorable concernant le contrat. Lorsque cet avis n’est pas respecté, les poursuites restent l’exception. L’institution n’a pas reçu les moyens d’assurer cette mission, se défend l’Ordre dans un communiqué. Selon lui, ce rôle « répressif » est aux mains de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) et d’autres instances « qui n’ont pas fait de la saisine des tribunaux correctionnels leur priorité ».
AMBIGU SUR LES REFUS DE SOINS
L’audit de la Cour des comptes est également sévère sur les refus de soins. S’ils restent rares dans leur forme directe, ils sont plus fréquents dans des formes plus pernicieuses : rendez-vous fixés à des dates très éloignées, refus de prendre de nouveaux patients, et autres manœuvres dissuasives. Il existe bien une commission chargée de ce sujet à l’Ordre des médecins… mais elle n’a produit qu’un rapport et « refuse de financer des études sur les refus de soins ». Si on y ajoute un budget insuffisant, voilà qui rend difficile toute action.
L’Ordre se défend ici aussi de toute mauvaise volonté. La commission n’a pas pu fonctionner avant 2017 car elle n’était pas formée. La nomination tardive de ses membres, par arrêté, n’est pas de son fait. Le problème, c’est que la position de l’institution elle-même est ambiguë sur le sujet, souligne la Cour des comptes. Entre 2014 et 2017, 28 décisions rendues par les juridictions ordinales traitaient de refus de soins. Plus de la moitié se sont conclues par un rejet. Lorsque les décisions étaient favorables aux patients, les sanctions étaient hétérogènes. « Le bilan des rares poursuites menées à leur terme n’incite pas les patients à faire valoir leurs droits et ne dissuade pas les médecins de renoncer à une pratique illégale », constate la Cour des comptes.
DÉSINVOLTE SUR LE TRAITEMENT DES PLAINTES
Le reste des signalements n’est guère mieux traité. Seuls 22 % des courriers adressés à l’Ordre pour exprimer un problème avec un médecin sont enregistrés comme des plaintes. Les autres sont considérés comme des doléances. Cette distinction ne devrait pas exister et ne relève pas du pouvoir de l’institution. « Les conseils qui déclarent une plainte infondée ou irrecevable outrepassent ainsi leurs missions », souligne la Cour des comptes. Ces manipulations sont loin d’être anecdotiques : en 2017, l’Ordre a reçu plus de 8 900 signalements… mais n’a tenu que 2 300 conciliations. Lorsque celles-ci se tiennent – ce qui peut être volontairement omis –, les procès-verbaux sont imparfaits. Souvent, ils ne retracent pas le contenu des échanges et leur issue.
Ce manque de rigueur peut être particulièrement problématique lorsque les faits reprochés sont graves. 40 % des plaintes concernent la qualité des soins, 30 % le comportement du médecin.
Les plaintes à caractère sexuel qui ont été enregistrées, elles, sont au nombre de 150 entre 2014 et 2017. Dans 43 % des cas, elles ont été rejetées. Parfois parce que des faits similaires, ayant mené à une condamnation, n’ont pas été transmis aux chambres disciplinaires. Lorsque la victime obtient justice auprès de l’Ordre, les sanctions sont pour le moins variables : elles vont du simple avertissement (11 %) à la radiation (12 %). Le plus souvent, le médecin écope d’une interdiction d’exercer assortie d’un sursis (29 %). Là encore, la faiblesse des condamnations n’incite pas à faire valoir ses droits.
(1) Rapport de la Cour des comptes sur l’Ordre des médecins, décembre 2019.